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Gouverner Pera n’offrait guère d’attraits. C’était une tâche où se consumerait l’énergie de Reith, qui épuiserait sa patience et restreindrait son champ d’action sans lui apporter aucun avantage personnel. Et par la force des choses, il aurait tendance à exercer son autorité en fonction des normes sociales en vigueur sur la Terre. Or, la population de Pera était un groupe hétérogène constitué de fugitifs, de criminels, de bandits, de monstres, d’hybrides, d’individus abracadabrants échappant à toute classification : qu’est-ce que l’équité, les procédures juridiques, la dignité humaine, la notion de progrès signifiaient pour ces misérables ?
C’était un défi. Et encore s’agissait-il d’un euphémisme !
Sans compter le vaisseau spatial et l’espoir qu’avait Adam Reith de parvenir en dépit de tout à regagner la Terre. La descente qu’il avait effectuée à Dadiche avait seulement abouti à lui confirmer que c’était là que se trouvait l’engin. Si jamais il réclamait son bien, cela aurait pour seul résultat de provoquer la joie des Chasch Bleus, qui commenceraient aussitôt à se poser des questions. Qu’avait-il à proposer ? Il lui était difficile de promettre aux Chasch l’assistance militaire de la Terre contre les Dirdir ou les Wankh – il ne savait pas trop quel était leur ennemi héréditaire. La contrainte ? Il ne disposait d’aucun moyen de pression.
En outre, les Chasch Bleus étaient maintenant au courant de son existence et, sans nul doute, ils s’interrogeaient sur son identité, sur son origine. Tschaï était vaste et il était impossible de prévoir ce qui pouvait naître dans les profondeurs de ses provinces les plus reculées. Selon toute vraisemblance, les Chasch Bleus étaient sûrement en train de compulser fébrilement leurs cartes.
Tandis que Reith méditait ainsi, le chariot escaladait les collines. Il franchit la Trouée de Belbal et, toujours ferraillant, dégringola en direction de la steppe. Le soleil était chaud et le vent chassait les miasmes. Reith s’assoupit et finit par s’endormir.
Quand il se réveilla, le véhicule roulait sur les vieux pavés de Pera. Bientôt, il arriva à la place centrale que dominait la citadelle. Reith constata que huit nouveaux cadavres se balançaient au gibet. C’étaient des Gnashters. Leurs costumes de parade n’étaient plus que de pitoyables guenilles. Traz lui expliqua ce qui s’était passé avec une indifférence qui n’avait rien de feint :
— Finalement, ils sont descendus de la citadelle en gesticulant et en s’esclaffant comme si tout cela n’était qu’une farce. Quand la milice les a capturés pour les pendre, ils ont été indignés ! La mort les a surpris au milieu de leurs clameurs de protestation.
— Comme cela, le palais est vide, murmura Reith en levant les yeux vers la masse de pierre de la citadelle.
— Autant que je sache. Je suppose que c’est là que tu veux t’installer ?
Il y avait un soupçon de désapprobation dans la voix de l’adolescent et Reith sourit. L’influence d’Onmale persistait et il lui arrivait encore parfois de se manifester.
— Non, dit Reith. C’était le repaire de Naga Goho. Si nous nous y installions, nous passerions pour de nouveaux Goho.
— C’est un joli palais, rétorqua Traz. (Son ton, maintenant, était vaguement dubitatif.) Il recèle pas mal de choses intéressantes… (Il décocha à Reith un regard intrigué.) Apparemment, tu as décidé d’être le maître de Pera ?
— Apparemment, répliqua Reith.
De retour à l’Auberge de la Steppe Morte, Reith s’oignit d’huile, de sable doux et de cendres tamisées. Après s’être rincé, il recommença l’opération tout en songeant que l’une des premières innovations qu’il apporterait à Pera – et à Tschaï – serait le savon. Comment était-il possible que cette planète ignorât une substance pourtant aussi simple… relativement ? Il faudrait qu’il demande à Derl… ou Ylin-Ylan, quel que fût son nom, si Cath connaissait le savon.
Une fois récuré et rasé, Reith, après avoir mis du linge propre et chaussé des sandales de cuir souple, descendit dans la salle commune, où on lui servit de la bouillie d’avoine et du ragoût. L’atmosphère avait visiblement changé. Le personnel le traitait avec un respect exagéré, les autres convives parlaient d’une voix contenue en lui jetant des coups d’œil en coulisse.
Il remarqua un groupe d’hommes qui se tenaient au-dehors, murmurant entre eux, et qui, de temps en temps, regardaient à l’intérieur de la salle. Quand il eut terminé son repas, ils entrèrent et s’alignèrent en rang d’oignons devant lui. Reith reconnut quelques-uns des visages qu’il avait aperçus lors de l’exécution de Naga Goho. L’un des nouveaux venus – maigre, le teint jaune, les yeux luisants – était probablement un homme des marais. Son voisin semblait être un mélange d’Homme-Chasch et d’Homme Gris. Un troisième – taille moyenne, crâne chauve, visage de papier mâché, une masse charnue en guise de nez, des yeux protubérants à l’éclat vitreux – était un Gris typique. Le quatrième, un vieillard décharné, ne manquait pas d’une certaine prestance dans son genre : c’était un nomade usé par les vents de la steppe. Quant au cinquième, court sur pattes, gros comme un baril et dont les mains arrivaient presque aux genoux, il était impossible de deviner ses origines.
Le vieux était le porte-parole du groupe. Sa voix était rauque :
— Nous sommes le Comité des Cinq qui a été constitué selon tes conseils. Nous avons longuement débattu. En raison de la part que tu as prise à la liquidation de Naga Goho et des Gnashters, nous souhaitons te nommer gouverneur de Pera.
— Étant entendu que tu devras te soumettre à nos avis, ajouta l’Homme Chasch Gris.
Reith n’avait pas encore pris de décision définitive et irrévocable. Se renversant dans son fauteuil, il étudia ses interlocuteurs. Il n’avait jamais vu assemblage d’individus aussi hétéroclite.
— Ce n’est pas si simple que cela, dit-il enfin. Il est possible que vous me refusiez votre coopération. Or, je n’accepterai cette fonction que si j’ai l’assurance que vous collaborerez avec moi.
— Collaborer pour quoi faire ? s’enquit le Gris.
— Pour apporter des changements. Des changements extrêmes, des changements qui iront très loin.
Ses interlocuteurs scrutèrent Reith avec circonspection. Et l’Homme-Chasch Gris murmura :
— Nous sommes des conservateurs. Rude est l’existence. Nous ne pouvons pas nous laisser aller à des expériences téméraires.
Le vieux nomade émit un rire guttural.
— Des expériences ! Mais avec le plus grand plaisir ! Tout changement ne peut qu’être profitable. Écoutons ce que cet homme a à nous proposer !
— Soit ! Cela ne peut pas nous faire de mal. Nous n’avons pas pris d’engagements.
— Je partage l’opinion de celui-là, fit Reith en désignant le vieillard du doigt. Pera est un tas de ruines. Ses habitants ne valent guère mieux que des fugitifs. Ils n’ont pas de fierté, pas d’amour-propre. Ils vivent dans des bouges, ils sont sales et ignorants, ils s’habillent de haillons. Et le plus grave, c’est qu’ils ne semblent pas s’en soucier.
Les cinq hommes du Comité, surpris, sourcillèrent. Le vieux nomade exhala de nouveau un ricanement rauque. Le pseudo-Gris prit un air maussade. Les autres paraissaient indécis. Ils s’éloignèrent de quelques pas et tinrent un conciliabule. Puis ils firent face à Reith :
— Peux-tu nous exposer en détail ce que tu envisages de faire ?
Reith hocha la tête.
— C’est une question à laquelle je n’ai pas encore beaucoup réfléchi. Je serai brutal : je suis un civilisé. J’ai été élevé et formé dans une société civilisée. Je sais ce dont les hommes sont capables. Ils peuvent faire beaucoup – peut-être plus que vous ne l’imaginez. Or, les habitants de Pera sont des hommes et, si je suis votre chef, j’exigerai d’eux qu’ils se conduisent comme des hommes.
— Bien sûr, bien sûr ! s’exclama l’homme des marais. Mais comment ? Il faut être précis.
— En premier lieu, j’organiserai une milice disciplinée et bien entraînée qui aura mission de protéger la ville et les caravanes contre les Chasch Verts. Je créerai des écoles et un hôpital. Et, par la suite, une fonderie, des entrepôts, un marché. Entre-temps, j’encouragerai la population à construire des maisons en tenant compte des règles de l’hygiène.
Les membres du Comité s’agitèrent nerveusement en échangeant des regards méfiants.
— Bien sûr que nous sommes des hommes, grommela le vieux nomade. Personne ne prétend le contraire. Et, étant des hommes, nous devons être prudents. Nous ne désirons pas être des Dirdir. Il nous suffit de survivre.
— Les Chasch Bleus ne nous permettront jamais de donner libre cours à de telles prétentions, soupira le Gris. S’ils nous tolèrent à Pera, c’est seulement parce que nous nous tenons à notre place.
— C’est aussi parce que nous satisfaisons à certains de leurs besoins, ajouta le petit bonhomme courtaud. Ils achètent à vil prix les denrées que nous produisons.
Le Gris protesta :
— Il est toujours dangereux d’irriter ceux qui détiennent la puissance.
Reith leva la main.
— Je vous ai exposé mon programme. Si vous ne voulez pas coopérer de bon cœur, choisissez-vous un autre chef.
Le vieillard lui adressa un regard perçant et entraîna ses collègues à l’écart. Après une chaude discussion, les Cinq revinrent :
— Nous acceptons tes conditions. Tu seras notre chef.
Reith, qui avait espéré que le Comité trancherait dans un autre sens, poussa un léger soupir.
— Eh bien, soit ! C’est entendu. Je vous avertis que j’exigerai beaucoup de vous. Vous travaillerez comme vous ne l’avez encore jamais fait. Mais ce sera dans votre propre intérêt à long terme. Du moins, je l’espère.
Et, une heure durant, il expliqua à ses interlocuteurs ce qu’il comptait réaliser. Il réussit à susciter leur intérêt, voire un enthousiasme qui perçait à travers leur réserve.
En fin d’après-midi, Reith s’en alla visiter en compagnie d’Anacho, de Traz et de trois membres du Comité ce qui avait été le palais de Naga Goho. Le petit groupe gravit le chemin tortueux que surplombait la lugubre architecture de l’édifice. Il traversa la cour humide et froide, entra dans la salle centrale où s’entassaient les richesses bien-aimées de l’ancien maître des lieux : bancs et tables massifs, tapis et tapisseries, lampes montées sur trépied, plats et urnes que recouvrait déjà une couche de poussière. Au delà se succédaient des pièces où régnait une odeur d’effets sales et d’onguents aromatiques. Le cadavre de la concubine de Naga Goho gisait toujours là où Reith l’avait découvert. Les six hommes se hâtèrent de rebrousser chemin.
Derrière la grande salle, il y avait des magasins où s’entassaient des produits de rapine : ballots de tissus, caisses de cuirs, billes de bois rares, outils, armes, ustensiles, lingots de métal brut, flacons d’essences, livres faits de papier noir moucheté de points bruns et gris qu’Anacho identifia comme étant des manuels techniques wankh. Dans une niche était rangé un coffre à moitié rempli de sequins. Deux autres, de moindre taille, contenaient des bijoux, des ornements, des colifichets et des babioles – ç’aurait pu être le trésor d’une pie voleuse. Les gens du Comité s’approprièrent des épées au pommeau et à la garde filigranés. Traz et Anacho firent de même. Le premier, après avoir jeté un coup d’œil hésitant à Reith, s’empara d’une somptueuse cape ocre mordorée, de souples bottes de cuir noir ainsi que d’un casque d’acier fin admirablement travaillé dont la base formait couvre-nuque. Reith, quant à lui, s’intéressa à une douzaine de pistolets à énergie. Il y avait aussi des cellules usées qui, selon Anacho, pouvaient être rechargées grâce aux accumulateurs équipant les chariots – détail que, de toute évidence, Naga Goho avait ignoré.
Le soleil était bas sur l’horizon quand ils quittèrent le lugubre palais. Dans la cour, Reith nota une petite porte encastrée au fond d’une niche. Il la poussa et découvrit ainsi un escalier de pierre. Des profondeurs montait une nauséabonde odeur de moisissure, de putréfaction, d’immondices – et quelque chose d’autre, aussi : des effluves lourds et musqués. En les respirant, Reith sentit ses cheveux se dresser sur son crâne.
— Les oubliettes, laissa laconiquement tomber Anacho. Écoute !
De faibles et discordants murmures frappaient leurs oreilles. Reith trouva en tâtonnant un lumignon mais ne parvint pas à l’allumer. Anacho tapota le sommet de l’ampoule, qui s’éclaira immédiatement.
— C’est un appareil dirdir.
Le groupe descendit les marches, tous les sens aux aguets ; l’escalier aboutissait à une haute salle voûtée. Traz serra le bras de Reith et tendit le doigt : le Terrien aperçut une forme noire qui se perdit lentement dans l’ombre tout au fond de la salle.
— C’est un Pnume, grommela Anacho en rentrant la tête dans les épaules. Ils infestent les ruines de Tschaï. Ils sont comme des vers dans le bois vermoulu.
La faible lueur qui émanait d’une lampe lointaine révélait des cages alignées le long des murs. Les unes contenaient des ossements, d’autres des masses de chairs corrompues, d’autres encore des créatures vivantes. Et c’étaient ces êtres qui faisaient le bruit que le petit groupe avait entendu tout à l’heure.
— À boire ! À boire ! gémissaient les formes prostrées. Donnez-nous de l’eau !
Reith approcha le lumignon.
— Des Hommes-Chasch…, murmura-t-il.
Il y avait une citerne dans un coin. Il y remplit des écuelles qu’il apporta aux captifs. Les Hommes-Chasch burent avidement et en réclamèrent davantage. Reith s’exécuta.
Deux personnages massifs étaient immobiles dans une lourde cage tout au fond de la pièce.
— Des Chasch Verts ! laissa échapper Traz dans un souffle. Qu’est-ce que Naga Goho pouvait en faire ?
— Observe-les bien, fit Anacho. Ils regardent dans la même direction, et uniquement dans celle-là. C’est celle de leur horde. Ils sont télépathes.
Reith tira deux autres récipients d’eau qu’il tendit aux Chasch Verts. Ceux-ci s’approchèrent pesamment, s’en saisirent et les vidèrent.
— Il y a combien de temps que vous êtes là ? demanda le Terrien aux Hommes-Chasch.
— Longtemps, très longtemps, répondit l’un des prisonniers d’une voix grinçante. Je ne sais pas au juste depuis combien de temps.
— Pourquoi êtes-vous ainsi encagés ?
— Par cruauté ! Parce que nous sommes des Hommes-Chasch !
Reith se tourna vers les membres du Comité.
— Étiez-vous au courant de leur présence ?
— Non ! Naga Goho agissait selon son bon plaisir.
Reith déverrouilla les cages.
— Sortez ! Vous êtes libres. Ceux qui vous ont capturés sont morts.
Les Hommes-Chasch sortirent craintivement de leurs cages. Ils se dirigèrent droit sur la citerne et burent de nouveau.
— Étrange, murmura Reith en contemplant les Chasch Verts. Très étrange en vérité.
— Peut-être que Naga Goho les utilisait en quelque sorte comme des boussoles, suggéra Anacho. Grâce à eux, il savait toujours où se trouvait la horde.
— On ne peut pas leur parler ?
— Ils ne savent pas parler. Ils communiquent uniquement en échangeant leurs pensées.
Reith se tourna vers les gens du Comité :
— Vous chargerez une équipe de douze hommes de transporter ces cages sur la place.
— Bah ! rétorqua le Gris – qui s’appelait Bruntego – Mieux vaut tuer ces ignobles créatures ! Et les Hommes-Chasch aussi par la même occasion !
Reith le fusilla du regard.
— Nous ne sommes pas des Gnashters ! Nous ne tuons que lorsqu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Quant aux Hommes-Chasch, à eux de choisir : ou ils retourneront à leur servitude ou ils resteront ici en hommes libres.
Bruntego exhala un grognement réprobateur :
— Si nous ne les tuons pas, ce sont eux qui nous tueront.
Dédaignant de répondre, Reith braqua le lumignon dans les profondeurs des oubliettes. Il ne vit qu’un mur de pierre gluant d’humidité. Impossible de savoir comment le Pnume s’était éclipsé. Impossible également d’obtenir des renseignements cohérents des Hommes-Chasch.
— Ils apparaissent, silencieux comme des démons, pour nous regarder. Jamais ils ne prononcent un mot et jamais ils ne nous donnent d’eau !
— Quelles créatures bizarres ! fit rêveusement Reith.
— Ce sont les sorciers de Tschaï ! s’écrièrent les Hommes-Chasch, qui tremblaient d’émotion maintenant qu’ils avaient recouvré leur liberté. Il faudrait les extirper de la planète !
Reith ricana :
— De même que les Dirdir, les Wankh et les Chasch !
— Non, pas les Chasch ! Nous sommes des Chasch. Tu ne le savais pas ?
— Vous êtes des hommes.
— Non, nous sommes des Chasch à l’état larvaire. C’est là une vérité première !
— Allons donc ! s’écria Reith avec une soudaine colère. Ôtez donc ces postiches ridicules ! (Il s’avança et, d’un geste brusque, fit sauter les faux crânes en forme de cônes.) Vous êtes des hommes et rien d’autre ! Pourquoi donc acceptez-vous de vous laisser tromper par les Chasch ?
Les Hommes-Chasch se turent. Ils lorgnaient craintivement vers les cages comme s’ils s’attendaient à ce qu’on les y emprisonne à nouveau.
— Venez ! lança brusquement Reith. Sortons d’ici !
Une semaine s’écoula. N’ayant rien de mieux à faire, Reith s’attela à sa tâche. Il sélectionna un petit groupe d’hommes et de femmes qui lui semblaient être plus intelligents que les autres pour les former afin qu’ils fassent ensuite l’instruction de leurs congénères. Il mit sur pied une milice civique qu’il plaça sous les ordres de Baojian, l’ex-maître de caravane. Avec l’aide d’Anacho et de Tostig, le vieux nomade, il commença d’élaborer un code législatif. Sans trêve, il exposait tous les avantages qui devaient découler de ses innovations, ce qui éveillait tantôt l’intérêt et tantôt l’appréhension, suscitait tantôt des reniflements sceptiques et tantôt l’enthousiasme, mais bien souvent, il ne rencontrait chez ses auditeurs qu’une totale incompréhension. Il apprit qu’organiser une administration ne se bornait pas à donner des ordres : il fallait qu’il soit partout en même temps. Mais, sans cesse, une arrière-pensée le rongeait : les Chasch Bleus n’étaient-ils pas en train de mijoter quelque chose ? Il ne parvenait pas à croire qu’ils avaient si facilement renoncé à le capturer. Sans aucun doute, ils avaient des espions à leur service et devaient être au courant de ce qui se passait à Pera. Ils n’étaient pas pressés, mais, tôt ou tard, ils chercheraient à s’emparer de lui. La prudence lui commandait de décamper sans demander son reste. Mais, pour de multiples raisons, Reith n’avait aucune envie de quitter Pera.
Les Hommes-Chasch que l’on avait retrouvés dans les cachots de Naga Goho n’avaient apparemment aucune envie de regagner Dadiche, et Reith en conclut qu’ils avaient fui la justice des Chasch. Les guerriers Verts posaient un problème : Reith ne pouvait se résoudre à les abattre, mais l’opinion publique aurait été scandalisée qu’on les relâchât sans autre forme de procès. Aussi Reith avait-il opté pour un compromis : les cages avaient été dressées sur la place et leurs occupants étaient l’attraction de la population. Cependant, insensibles à la curiosité, les Chasch Verts restaient immuablement tournés vers le nord, en contact télépathique avec la horde-mère – telle était du moins l’opinion d’Anacho.
La Fleur de Cath demeurait la grande consolation de Reith, encore que son attitude le déroutât. Il était incapable de percer ses pensées. Au cours du long voyage de la caravane, il l’avait vue mélancolique, lointaine, voire hautaine. Par la suite, elle s’était montrée douce et tendre tout en semblant parfois préoccupée. Reith la trouvait plus séduisante que jamais et elle était chaque fois pour lui une merveilleuse surprise. Néanmoins, sa mélancolie persistait. Il décida qu’elle avait le mal du pays : selon toute vraisemblance, elle se morfondait loin de Cath. Mais, assiégé par bien d’autres préoccupations, il retardait le jour où il lui faudrait songer à exaucer les désirs de Derl.
Les trois Hommes-Chasch, Reith ne tarda pas à l’apprendre, n’étaient pas originaires de Dadiche : ils venaient de Saaba, une ville située plus au sud. Un soir, dans la salle commune, ils attaquèrent le Terrien sur ce qu’ils appelaient ses « ambitions extravagantes ».
— Tu cherches à singer les races supérieures mais tu en seras pour ta courte honte ! Les sous-hommes sont incapables de parvenir à la civilisation.
— Vous ne savez pas de quoi vous parlez, répliqua Reith, amusé par le ton sérieux de ses interlocuteurs.
— Bien sûr que si ! Ne sommes-nous pas des Hommes-Chasch, c’est-à-dire des Chasch Bleus à l’état larvaire ? Qui pourrait le savoir mieux que nous ?
— Le premier venu qui aurait quelques notions de biologie.
Les Hommes-Chasch s’agitèrent, manifestement irrités.
— Tu es un sous-homme jaloux d’une race avancée !
— À Dadiche, j’ai vu la morgue… ou la maison des morts – appelez-la comme vous voulez. J’ai vu des Chasch Bleus fendre le crâne du cadavre d’un Homme-Chasch et placer un bébé Chasch Bleu dans sa cervelle froide. Ils se moquent de vous, ils font des tours de passe-passe pour vous maintenir dans votre servitude. Les Dirdir utilisent sans aucun doute des trucs analogues pour en imposer aux Hommes-Dirdir, bien que je ne sache pas si ces derniers espèrent devenir des Dirdir de plein droit. (Reith dévisagea Anacho.) Quel est ton avis ?
— Les Hommes-Dirdir n’espèrent pas devenir des Dirdir, répondit ce dernier d’une voix qui tremblait un peu. C’est de la superstition. Il y a le Soleil. Nous sommes l’Ombre. Mais le Soleil et l’Ombre sont tous deux issus de l’Œuf primordial. Les Dirdir sont la forme de vie cosmique la plus haute et les Hommes-Dirdir ne peuvent qu’être leurs émules. Ils s’attachent à les imiter et en tirent orgueil. Quelle autre race a-t-elle produit d’aussi splendides, d’aussi somptueuses réalisations ?
— La race des hommes, dit Reith.
Une grimace de mépris tordit le visage d’Anacho.
— À Cath ? Ce sont des mangeurs de lotus. Les Merribs ? Ce sont des artisans vagabonds. Les Dirdir occupent une place à part sur Tschaï.
— Non, non, non ! s’exclamèrent les Hommes-Chasch en chœur. Les sous-hommes sont le remugle et le déchet des Hommes-Chasch. Certains d’entre eux deviennent les clients des Dirdir. Les hommes véritables viennent de Zoor, le monde des Chasch.
Anacho, écœuré, se tourna de l’autre côté.
— Ce n’est pas le cas, dit Reith, mais je n’escompte pas que vous me croirez. Vous faites erreur les uns et les autres.
— Quel ton catégorique ! fit Anacho, l’Homme-Dirdir, avec une désinvolture soigneusement étudiée. Tu m’intrigues. Peut-être pourrais-tu nous éclairer davantage ?
— Sans doute. Mais, pour le moment, je n’en vois pas la nécessité.
Anacho insista :
— Pourquoi pas ? Tes lumières nous seraient utiles à tous.
— Vous connaissez les faits aussi bien que moi. Tirez-en vous-mêmes les conclusions qui s’imposent.
— Quels faits ? s’écrièrent les Hommes-Chasch. Quelles conclusions ?
— C’est l’évidence même, non ? Les Hommes-Chasch vivent dans la servitude, exactement comme les Hommes-Dirdir. Il y a incompatibilité biologique entre les Hommes et chacune de ces races, de même qu’il y a incompatibilité entre moi et les Wankh ou les Pnume. Les hommes ne sont pas nés sur Tschaï, c’est incontestable. La conclusion est la suivante : on les y a conduits comme esclaves, il y a longtemps, très longtemps. Et on est allé les chercher sur le monde des hommes.
Les Hommes-Chasch maugréèrent ; Anacho, levant les yeux, s’abîma dans la contemplation du plafond ; quant aux citoyens de Pera, assis à la table, ils poussaient des soupirs de stupéfaction. La conversation se poursuivit, de plus en plus passionnée, de plus en plus véhémente à mesure que la soirée se prolongeait. Finalement, les Hommes-Chasch se réunirent dans un coin pour continuer le débat entre eux – deux étaient du même avis, le troisième défendait un point de vue opposé.
Le lendemain, tous trois partirent pour Dadiche. Le hasard voulut qu’ils empruntent le chariot d’Emmink. Reith les regarda s’éloigner avec appréhension. Il ne nourrissait aucune illusion : les Hommes-Chasch signaleraient ses activités et feraient part à qui de droit des doctrines révolutionnaires qu’il prêchait, ce qui ne manquerait pas de déplaire aux Chasch Bleus. Décidément, l’existence devenait bien compliquée ! Et l’avenir était sombre. Sinistre, même. De nouveau, Reith songea à déguerpir toutes affaires cessantes. Mais la perspective de disparaître dans la steppe n’était pas plus séduisante que précédemment.
Cet après-midi-là, il assista à l’entraînement des premières recrues de sa milice : six pelotons de cinquante hommes à l’armement hétéroclite – catapultes, épées, poignards – et à la tenue bigarrée : pantalons, sarraus, burnous, tuniques évasées, jupons, haillons et parements de fourrure. Il y avait des barbus, il y avait des crânes surmontés d’un toupet peinturluré, il y avait des cheveux flottant sur les épaules. Jamais Reith n’avait vu un aussi lamentable spectacle. C’était avec un mélange d’amusement et de désespoir qu’il regardait les miliciens trébuchant et traînant les pieds se prêter de mauvaise grâce à l’exercice qu’il avait ordonné. Les six lieutenants, qui ne manifestaient pas un enthousiasme exagéré, couverts de sueur et l’injure à la bouche, lançaient des commandements plus ou moins au hasard et l’on récriminait amèrement contre l’aplomb de Baojian.
Au bout du compte, Reith cassa deux lieutenants sur-le-champ et les remplaça par deux hommes sortis du rang. Puis il grimpa sur un chariot et fit rassembler tout le monde devant lui.
— Cela ne va pas du tout ! Ne comprenez-vous pas la raison de votre présence ici ? C’est pour que vous appreniez à vous défendre !
Son regard se posa sur chacun des visages renfrognés. Soudain, il tendit le doigt vers un homme qui murmurait quelque chose à l’oreille de son voisin :
— Toi, là-bas ! Qu’est-ce que tu racontes ? Dis-le tout haut !
— Je dis que toutes ces cabrioles, tous ces défilés au pas, c’est de la bêtise. On y gaspille notre énergie. Quel intérêt ont toutes ces clowneries ?
— Leur intérêt est le suivant : vous apprenez ainsi à obéir aux ordres rapidement et avec décision. Vous apprenez à manœuvrer en corps constitué. Vingt hommes agissant ensemble valent plus que cent hommes qui sont à couteaux tirés. En situation de combat, le chef élabore les plans, qui sont ensuite exécutés par les guerriers disciplinés. Sans discipline, les plans ne servent à rien et c’est comme cela que l’on perd les batailles. Est-ce que tu as compris maintenant ?
— Bah ! Comme si les hommes pouvaient gagner des batailles ! Les Chasch Bleus possèdent des engins à énergie et des glisseurs de combat. Nous, nous avons seulement quelques gicle-sable. Quant aux Chasch Verts, ils sont invincibles. Ils nous écraseraient comme des fourmis. Il est plus facile de se cacher parmi les ruines. Les hommes ont toujours vécu de cette façon à Pera.
— La situation n’est plus la même, rétorqua Reith. Si tu ne veux pas faire un travail d’homme, eh bien, tu n’as qu’à faire un travail de femme et t’habiller en femme. À toi de choisir.
Il attendit, mais le protestataire se contenta de le foudroyer du regard en piaffant.
Reith sauta alors à terre et donna des ordres. Un groupe d’hommes se dirigea vers la citadelle pour y chercher des pièces de tissu et des balles de cuir. D’autres apportèrent des ciseaux et des rasoirs et l’on tondit les miliciens à double zéro en dépit de leurs protestations. Pendant ce temps, les femmes de Pera que l’on avait convoquées s’affairaient à tailler et à couper des uniformes – de longues tuniques blanches sans manches frappées d’un éclair noir cousu sur la poitrine. Les caporaux et les sergents portaient des épaulettes noires, les lieutenants avaient de petites manches rouges.
Le lendemain, les miliciens, revêtus de leur nouvelle tenue, reprirent leur entraînement. Cette fois ils se tenaient franchement mieux – ils avaient même une certaine désinvolture, songea Reith.
Trois jours après le départ des Hommes-Chasch, les derniers doutes de Reith s’évaporèrent : un grand glisseur de dix-huit mètres de long sur neuf de large survola la steppe. Lentement, il décrivit un cercle autour de Pera avant de se poser sur l’esplanade, juste en face de l’auberge. Une douzaine d’hommes-Chasch bien musclés – des gardes de la sécurité en pantalons gris et tuniques pourpres – sautèrent à terre et s’immobilisèrent, l’arme au poing. Six Chasch Bleus, debout sur la passerelle, examinèrent la place. C’étaient visiblement des notables : leurs costumes moulants étaient ornés de filigranes d’argent, ils étaient coiffés de hauts morions étincelants, avaient des genouillères et des protège-coudes d’argent.
Ils lancèrent un ordre bref et deux Hommes-Chasch s’avancèrent jusqu’à la porte de l’auberge.
— Un homme du nom de Reith s’est désigné comme votre chef, dirent-ils au tavernier. Va le chercher ! Le Seigneur Chasch veut lui parler.
— Il est occupé, répondit l’aubergiste dans un grognement obséquieux avec un mélange d’effroi et de violence. Il faudra que vous attendiez qu’il arrive.
— Préviens-le ! Et dépêche-toi !
Reith accueillit la nouvelle sans joie, mais elle ne le surprit pas. Il réfléchit un moment, puis, poussant un profond soupir, il prit sa décision, décision qui modifierait forcément – pour le meilleur ou pour le pire – l’existence de tous les habitants de Pera. Et peut-être de tous les habitants de Tschaï. Il donna ses instructions à Traz et se dirigea à pas lents vers la taverne. Il entra dans la salle commune.
— Dis aux Chasch que c’est ici que je les recevrai.
L’aubergiste transmit le message aux Hommes-Chasch, qui le répercutèrent aux Chasch Bleus. Ceux-ci émirent une série de sons gutturaux, quittèrent le glisseur et s’alignèrent en rang d’oignons devant la porte de l’auberge. Les Hommes-Chasch pénétrèrent à l’intérieur et l’un d’eux brailla :
— Quel est l’homme qui se prétend le chef ? Lequel est-ce ? Qu’il lève la main !
Reith les écarta et sortit de la salle. Il s’immobilisa devant les Chasch Bleus qui, la mine sinistre, lui rendirent son regard. Le Terrien était fasciné par le faciès des extra-terrestres, par leurs petits yeux semblables à des billes de métal qui luisaient dans l’ombre de la visière frontale, par leur complexe appareil nasal, par les morions d’argent et les armures filigranées. À présent, les Bleus n’avaient rien ni d’astucieux, ni de capricieux, ni de lunatique ; ils ne donnaient pas l’impression d’être de cruels petits plaisantins. Leur contenance était tout simplement menaçante.
Reith, debout devant eux, les bras croisés sur la poitrine, attendait sans baisser les yeux.
L’un des Chasch, dont le morion s’ornait d’un cimier plus haut que les autres, prit la parole. Sa voix était gutturale et étranglée comme celle de tous ses congénères.
— Que fais-tu à Pera ?
— Je suis le chef élu.
— Tu es celui qui s’est rendu clandestinement à Dadiche et qui s’est introduit dans le Centre Technique de District ?
Reith garda le silence.
— Eh bien, qu’as-tu à répondre ? insista le Chasch Bleu. Inutile de nier : ton odeur est reconnaissable. Tu as réussi à entrer dans Dadiche et à en ressortir. Et tu t’es rendu en d’autres endroits. Pourquoi ?
— Parce que je n’étais encore jamais allé à Dadiche. À présent, vous visitez Pera sans y avoir été expressément autorisés. Néanmoins, vous y êtes les bienvenus aussi longtemps que vous respecterez nos lois. Je serais heureux que les gens de Pera puissent visiter Dadiche dans les mêmes conditions.
Les Hommes-Chasch s’esclaffèrent à grand bruit. Les Bleus ouvrirent de grands yeux, l’air à la fois sinistre et scandalisé. Leur porte-parole poursuivit :
— Tu as adhéré à une fausse doctrine et poussé les hommes de Pera à agir en insensés. Où as-tu trouvé de telles idées ?
— Il ne s’agit ni de « fausse doctrine » ni d’actes « insensés ». Quant à mes idées, elles sont l’évidence même.
— Tu vas nous accompagner à Dadiche car il nous faut tirer au clair un certain nombre de détails. Monte à bord du glisseur céleste.
Reith, souriant, hocha la tête.
— Si tu as des questions à me poser, pose-les maintenant. Ensuite, je te poserai les miennes.
Le Chasch Bleu fit signe aux gardes, qui s’avancèrent pour s’emparer de Reith. Celui-ci recula d’un pas et leva les yeux vers les hautes fenêtres. Une salve de flèches s’abattit sur les Hommes-Chasch, transperçant leurs fronts et leurs gorges. Mais les projectiles dirigés contre les Chasch Bleus furent détournés par un champ de force et les Bleus, sains et saufs, saisirent leurs propres armes ; Reith décroisa les bras avant qu’ils n’eussent eu le temps de viser et de tirer. Il étreignait sa cellule à énergie. Un seul geste circulaire – et les têtes des six Chasch Bleus s’embrasèrent. Les corps décapités, mûs par Dieu sait quel réflexe, tressautèrent, puis s’affalèrent avec un bruit mou, recouverts de globules d’argent fondu.
Le silence était total. Les témoins paraissaient retenir leur souffle. Les regards se détournèrent des corps mutilés, convergèrent sur Reith et, comme si la même idée était venue à tout le monde, se tournèrent vers Dadiche.
— Et maintenant, qu’allons-nous faire ? murmura Bruntego le Gris dans un souffle. Nous sommes condamnés. Nous servirons d’engrais à leurs fleurs rouges.
— Exactement, rétorqua Reith. À moins que nous n’agissions pour les en empêcher.
D’un geste, il ordonna à Traz de récupérer les armes et les équipements des Bleus décapités et des Hommes-Chasch, puis ordonna que l’on brûle les cadavres.
Il se dirigea ensuite vers le glisseur à bord duquel il monta. Les commandes – un amoncellement de pédales, de boutons et de flexibles – échappaient complètement à sa compréhension. À Anacho qui l’avait rejoint et examinait distraitement l’intérieur de l’appareil, il demanda :
— Sais-tu comment fonctionne cet engin ?
— Bien sûr, répondit dédaigneusement l’Homme-Dirdir. C’est le vieux système de Daïdne.
Reith laissa courir son regard le long de l’engin.
— Qu’est-ce que c’est que ces tubes ? Des armes à énergie ?
— Oui. Et bien désuètes, évidemment, si on les compare à l’armement des Dirdir.
— Quelle est leur portée ?
— Assez faible. Ce sont des batteries de petite puissance.
— Suppose que nous montions quatre ou cinq gicle-sable… Cela nous donnerait une puissance de feu considérable.
Anacho eut un bref signe de tête affirmatif.
— Ce serait un arsenal de fortune assez fruste. Mais la chose est faisable.
Le jour suivant, deux glisseurs survolèrent Pera à haute altitude. Ils reprirent la route de Dadiche sans avoir atterri. Le lendemain matin, une colonne de véhicules franchit la Trouée de Belbal. Le convoi était composé de deux cents Hommes-Chasch et d’une centaine d’officiers Bleus. Quatre glisseurs où avaient embarqué des artilleurs l’accompagnaient.
Les chars firent halte à moins d’un kilomètre de Pera. Les hommes de troupe se déployèrent en quatre compagnies qui convergèrent sur la cité, couvertes par les glisseurs.
Reith répartit la milice en deux détachements qui s’infiltrèrent dans les ruines et prirent position à l’est et à l’ouest de Pera, où le contact aurait lieu avec l’adversaire. Les miliciens attendirent que l’assaillant, qui avançait avec circonspection, eût pénétré d’une centaine de mètres à l’intérieur de la cité. Alors, jaillissant de leurs cachettes, ils ouvrirent le feu. Ils étaient armés de catapultes, de gicle-sable, d’armes de poing prises dans l’arsenal de Naga Goho. Ils disposaient des armes récupérées l’avant-veille sur les Chasch.
Au bout de cinq minutes, les deux tiers des Chasch Bleus et la moitié des Hommes-Chasch avaient péri. Les survivants flanchèrent et se débandèrent en direction de la steppe.
Alors, les glisseurs entrèrent en action : passant en rase-mottes, ils balayèrent les ruines de rayons mortels. Les miliciens se réfugièrent dans leurs cachettes. Les engins descendaient toujours plus bas.
Soudain, un autre glisseur apparut dans le ciel – celui que Reith avait équipé de gicle-sable. Il l’avait dissimulé sous des branchages dans la steppe. L’appareil piqua sur les engins Chasch. Les gicle-sable et les faisceaux d’énergie parlèrent : les glisseurs ennemis tombèrent comme des pierres. Reith accrocha ensuite les deux compagnies qui entraient dans Pera par le nord et par l’est tandis que la milice les attaquait par les flancs. Les troupes Chasch se replièrent en subissant de lourdes pertes. Harcelé par le bombardement aérien, l’ennemi rompit les rangs et s’égailla en désordre dans la steppe, talonné par la milice de Pera.